La Temesguida by Aïssa Touati & Pierre Guyotat

La Temesguida by Aïssa Touati & Pierre Guyotat

Auteur:Aïssa Touati & Pierre Guyotat [Touati, Aïssa & Guyotat, Pierre]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Témoignage
ISBN: 9782072492914
Éditeur: Gallimard
Publié: 2013-09-14T22:00:00+00:00


En ce début 1959, nous sentons bien que la guerre est à un tournant. Bien sûr, nous ignorons ce qu’il advient « derrière la montagne », comme dit Ramdane, dans les massifs voisins, et nous ne pouvons en déduire des certitudes. La Temesguida est l’objet d’une occupation stratégique de plus en plus poussée. C’est, pour nos combattants, un passage quasi obligé entre la Kabylie et la région algéroise, même au-delà de Médéa jusqu’à l’Ouarsenis. Les katibas se succèdent à Ouled Seddik. La centaine d’hommes, et parfois plus, qui les composent sont disciplinés, rompus à la marche en terrain accidenté. Ils ont un équipement moderne. Les fusils de chasse du début, donnés par les pères, ont été remplacés par des armes sophistiquées.

Ali a une responsabilité considérable. Il reçoit les ordres de sa hiérarchie et doit en permanence transiger avec les villageois, dont les moyens de subsistance ne cessent de diminuer, et il s’en tire bien puisqu’ils acceptent la situation sans trop rechigner. La garde du village, obligatoire, est très contraignante pour les hommes. S’y soustraire est grave et entraîne un premier avertissement. On se met en marge de la révolution. Celle-ci se montre intraitable. Au troisième avertissement non respecté, un tribunal expéditif se met en marche.

Deux guetteurs sont désignés chaque nuit, en haut et en bas du village. Cela fait quatre hommes de dix-huit à soixante ans mobilisés : tandis que l’un veille, l’autre se repose à ses côtés. Les katibas, lors de leur passage, mettent en place leur propre système de garde : un moudjahid est posté au-dessus du village, sur les crêtes, là où est censé arriver le danger ; devant chaque demeure où est hébergé un combattant, un autre monte la garde.

La perception de la cotisation par Ali suscite moins d’hostilité que la garde, car peu de foyers y sont assujettis dans le village. Notre famille n’y est pas soumise, nous sommes trop démunis. En revanche Saïd, mon deuxième frère, qui a dix-huit ans, n’échappe pas à la garde : parti se cacher à Alger, il doit donner de l’argent à son remplaçant.

Ali aide certains à s’acquitter de la cotisation et n’hésite pas à mettre de sa poche. L’argent du chtirak, une fois collecté, remonte jusqu’au responsable du secteur (naja), qui tient un registre écrit de ceux qui ont besoin d’être assistés, les pauvres ou les victimes de la guerre. L’argent redescend ensuite, via Ali, dans les familles les plus démunies. Mais les listes de cotisants et de bénéficiaires ne sont pas établies de façon arbitraire. Ali intervient et négocie avec le responsable pour évaluer le montant de la cotisation de chaque famille en fonction de ce qu’elle possède, ainsi que le montant de l’aide pour les pauvres ou ceux qui ont perdu un proche à cause de la guerre.

Le chtirak est distinct du zakat, l’impôt religieux acquitté selon les préceptes de l’islam par les foyers aisés. Chez nous, le zakat n’existe pas, faute de riches dans le village. Nous n’avons plus de chir depuis bien longtemps pour nous garder dans la religion, et le mot d’imam nous est inconnu.



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